C’était une journée d’avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Winston Smith, le menton rentré dans le cou, s’efforçait d’éviter le vent mauvais. Il passa rapidement la porte vitrée du bloc des « Maisons de la Victoire », pas assez rapidement cependant pour empêcher que s’engouffre en même temps que lui un tourbillon de poussière et de sable.
Le hall sentait le chou cuit et le vieux tapis. À l’une de ses extrémités, une affiche de couleur, trop vaste pour ce déploiement intérieur, était clouée au mur. Elle représentait simplement un énorme visage, large de plus d’un mètre : le visage d’un homme d’environ quarante-cinq ans, à l’épaisse moustache noire, aux traits accentués et beaux.
Winston se dirigea vers l’escalier. Il était inutile d’essayer de prendre l’ascenseur. Même aux meilleures époques, il fonctionnait rarement. Actuellement, d’ailleurs, le courant électrique était coupé dans la journée. C’était une des mesures d’économie prises en vue de la Semaine de la Haine.
Son appartement était au septième. Winston, qui avait trente-neuf ans et souffrait d’un ulcère variqueux au-dessus de la cheville droite, montait lentement. Il s’arrêta plusieurs fois en chemin pour se reposer. À chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de l’ascenseur, l’énorme visage vous fixait du regard. C’était un de ces portraits arrangés de telle sorte que les yeux semblent suivre celui qui passe. Une légende, sous le portrait, disait : BIG BROTHER VOUS REGARDE.
Ces premières lignes du célèbre roman de George Orwell, écrit en 1948, font frémir aujourd'hui plus que jamais. L'ensemble du livre semble prendre une tournure très contemporaine, aux États-Unis plus qu'ailleurs, si l'on en croit le hit-parade des ventes américaines qui vient de voir 1984 se hisser à la première place.
Pour rappel, au cours d'une émission de télévision diffusée sur NBC, la conseillère de Donald Trump, Kellyanne Conway, a évoqué le concept de " faits alternatifs" pour qualifier les propos du porte-parole de la Maison Blanche défendant la veille une contre-vérité grossière (l'investiture de Donald Trump aurait été « la plus grande en termes d’audience »). Le porte-parole a également déclaré que « parfois nous pouvons être en désaccord avec les faits ».
L'administration Trump pratique donc le « novlangue » (Newspeak), soit l’instrument du pouvoir omnipotent du roman dystopique d'Orwell décrivant un futur où le Parti règne sur l’Océania en réinventant une grammaire et un vocabulaire nouveaux, qui rendent impossibles la pensée critique et les idées politiques « non orthodoxes ».
La BiLA vous invite à (re)découvrir de manière urgente ce roman essentiel et à prolonger votre réflexion critique grâce à une série d'études sur l'oeuvre de George Orwell.
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