" L'homme pénétra dans un vestibule rectangulaire, éclairé par un tube au néon fixé au plafond. Il n'y avait personne pour l'accueillir, et c'est en vain qu'il chercha une indication grâce à laquelle il aurait pu s'orienter. Les murs étaient aussi nus que ceux d'une cellule. Quant à l'ameublement de cette curieuse salle d'attente, il se limitait à une chaise-fauteuil.
Le visiteur attendit, les bras ballants, l'air décontenancé. Quelques instants plus tard, une jeune femme parut. La secrétaire-type, classique jusque dans sa toilette : jupe noire et chemisier blanc. Ni laide ni jolie, le visage neutre, des cheveux châtains tirés sur les tempes et réunis en un chignon bas, le regard froid derrière les lunettes américaines, et quelque chose de commercial dans le sourire.
- Vous désirez ?
- Je voudrais parler au directeur, fit l'inconnu d'une voix sourde, avec un fort accent italien.
- Le directeur ?
- Si. Monsieur Richard.
- C'est de la part de qui ?
L'homme hésita.
- De la part de Toni Coletto, répondit-il, mais ça ne lui dira rien. Il ne me connaît pas. Précisez-lui, s'il vous plaît, que je suis envoyé par Manuel.
A ce nom, la secrétaire tressaillit et, durant une fraction de seconde, son regard se fit inquisiteur, presque féroce."
André Fernez, Cerveaux à vendre, Collection Marabout Junior, Les Éditions Gérard & Co, Verviers, 1959.
Première aventure de Nick Jordan, (bientôt célèbre) agent du contre-espionnage français. Couverture (sublime comme toujours dans la collection Marabout Junior) de Pierre Joubert.
A côté du fameux Bob Morane d'Henri Vernes, héros modèle et infaillible pour les jeunes lecteurs des années 50, l'apparition du plus ambigu Nick Jordan incite l'éditeur à la prudence. Ainsi, une petite notice, signée Marabout Junior, adressée autant aux "adversaires farouches qu'aux fanatiques" des romans d'espionnage et policiers, accompagne le roman. Elle constitue sans doute un document de référence pour qui veut comprendre ce petit tournant éditorial de Marabout Jeunesse.
Chevalier ou mercenaire ? | |
_____" Les héros modernes des romans d'aventures peuvent être classés en deux grandes catégories : les chevaliers et les mercenaires. _____Les chevaliers : un exemple-type est certainement Bob Morane, le héros des romans de Henri Vernes. C'est un homme qui, sans doute, ne ressemble pas entièrement au chevalier du Moyen Age, mais comme lui c'est un homme libre, un maître de son destin. Cette liberté et ce destin, il les met au service d'autrui : risquant sa vie pour une noble cause, pour défendre un ami ou l'humanité tout entière, ou même parfois, simplement, pour satisfaire son désir de connaître le vaste monde. Comme le chevalier d'autrefois, il est entièrement désintéressé, et toujours, il abandonnera à d'autres le fruit de ses combats, suffisamment heureux, en ce qui le concerne, d'avoir pu vaincre parfois les éléments, parfois d'autres hommes, parfois lui-même, c'est-à-dire sa faim ou sa peur. _____Un tel "chevalier" - faut-il le dire - encore qu'il ne prétende nullement être une créature parfaite, ne pourrait servir d'exemple concret et de modèle réel qu'en des occasions tout à fait exceptionnelles. _____Qui donc, aujourd'hui, dispose de tous les loisirs, de toute la chance, de tous les hasards qui, seuls, permettraient une si exaltante existence, une vie toute entière consacrée à de merveilleuses entreprises. _____Le héros-mercenaire par contre, se rencontre bien plus fréquemment dans le vie réelle ; et quand nous disons "mercenaire", chacun aura compris que nous parlons du policier, du détective, de l'espion ou du contre-espion. Ces hommes sont payés pour faire un certain travail et, en général, ce "travail" n'est guère de nature à fasciner les foules ; mais parce que souvent, cette activité se déroule dans un cadre plein de mystère, dans un monde plein d'ombre, dans un univers trouble et obscur, le roman d'aventures modernes - qu'il soit policier ou d'espionnage - a fait de ce mercenaire un dieu. _____Presque toujours les auteurs de romans policiers oublient volontairement la vie réelle du détective pour l'enjoliver et l'idéaliser à plaisir ; ils laissent dans l'ombre toute l'amertume, la violence (le sadisme parfois), les petitesses qui sont le lot quotidien de cette vie, pour n'en garder que les côtés prestigieux, et par là même fallacieux. _____Pourtant, ne serait-il pas possible de concevoir un héros de roman policier ou d'espionnage qui, tout en restant mercenaire, sache dépasser les aspects sombres et sordides de ses enquêtes - il en existe d'illustres exemples - sache mettre dans sa vie un véritable idéal, sache voir que, par-delà la mécanique et les manoeuvres, même admirablement construites, des bandes auxquelles il s'oppose, il y a des êtres qui sont des hommes comme lui. _____Il nous semble que c'est possible ; il nous a semblé que Nick Jordan, à la fois mercenaire et policier, pouvait trouver ici sa place. _____Et si, un jour, l'auteur à l'occasion de montrer comment Nick Jordan est devenu l'homme que le présent récit nous décrit, on verra, derrière son impassibilité apparente - et indispensable - combien on peut trouver de sensibilité humaine." MARABOUT JUNIOR (pp. 152-153). |
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